Le Monde | 17.12.11 | 13h50 • Mis à jour le 17.12.11 | 19h47
Sur fond de crise économique, de mondialisation et de nouvelles organisations du travail, la santé mentale des travailleurs se dégrade. Tel est le constat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pointé dans une étude publiée le mercredi 14 décembre, « Mal être au travail ? Mythes et réalités sur la santé mentale au travail « .
Selon l’organisation, qui regroupe 34 pays parmi les économies les plus avancées, mais aussi quelques émergents comme le Chili, la Turquie ou le Mexique, « la précarisation croissante des emplois et l’augmentation actuelle des pressions au travail pourraient entraîner une aggravation des problèmes de santé mentale dans les années à venir ». Et l’OCDE n’hésite pas à qualifier la santé mentale de « nouveau défi prioritaire pour le marché du travail ».
Par « mauvaise santé mentale », l’OCDE entend les dépressions graves, les toxicomanies sévères (alcool, drogue), les troubles maniaco-dépressifs… tous ces maux étant établis par un diagnostic médical.
La mauvaise santé mentale des salariés, et celle des demandeurs d’emploi, encore plus vulnérables, intéresse l’OCDE, parce qu’elle coûte cher. « Selon une estimation prudente de l’Organisation internationale du travail, écrivent les auteurs du rapport, les coûts d’une mauvaise santé mentale pour les individus concernés, les employeurs et la société représentent 3 à 4 % du produit intérieur brut dans l’Union européenne. » Les taux de chômage élevés, la « forte incidence de l’absentéisme pour maladie et d’une moindre productivité du travail » expliquent les coûts de ce fléau grandissant.
Car la plupart des personnes souffrant de troubles mentaux travaillent. Leur taux d’emploi oscille, selon les pays, entre 60 % et 70 %, soit une quinzaine de points de moins que les personnes en bonne santé. « Ces salariés sont plus souvent malades, plus longtemps, et, surtout, quand ils sont au travail, ils ne font rien, ce qu’on appelle « présentéisme » », explique Miranda Veerle, économiste et responsable du rapport.
La crise économique et ses conséquences apparaissent comme l’une des explications majeures de la détérioration de la santé mentale des salariés. Ainsi, établit l’étude, « la perte de l’emploi aggrave la détresse psychologique plus que n’importe quel autre événement de la vie, comme un accident ou la perte d’un conjoint ».
Mais le chômage n’est pas seul en cause. « Les récessions peuvent en effet s’avérer très stressantes pour les salariés qui conservent leur emploi. » Le risque de perte d’emploi a augmenté pour tous les travailleurs. Cette « insécurité » est passée de 14 % en 2005 à 17 % en 2010, et de 21 % à 40 % chez les travailleurs temporaires, qui sont « plus nombreux à souffrir de troubles mentaux ».
L’évolution même des modèles économiques joue un rôle important. Ainsi, les demandes de pensions d’invalidité, autrefois liées aux accidents dans l’industrie, sont de plus en plus dues aux maladies mentales. En compilant des études menées dans quelques pays et des comparatifs internationaux comme l’enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe (Share) ou encore l’Eurobaromètre, l’OCDE estime qu’une demande de pension d’invalidité sur trois, et dans certains pays une sur deux, est motivée par des problèmes mentaux, un chiffre en augmentation depuis le milieu des années 1990.
Pour Miranda Veerle, « l’évolution vers une économie de services complique la donne : le contact avec les gens fragilise les personnes plus faibles mentalement qui résistent moins bien à la pression ». Résultat, la tension au travail a fortement augmenté dans presque tous les pays de l’OCDE. Au Royaume-Uni, elle concernait 40 % des salariés en 2010, contre 25 % en moyenne sur la période 1995-2005. En France, 30 % contre 20 % sur les mêmes périodes de référence, et en Espagne, 41 % contre 29 %. Les salariés les moins qualifiés sont les plus exposés. L’accroissement des troubles mentaux s’explique aussi en partie parce qu’ils sont plus nombreux à être détectés et divulgués,« grâce au recul progressif des préjugés et de la discrimination », tempère l’OCDE.
Mais celle-ci ne s’en tient pas au seul constat et met en avant quelques exemples vertueux, car la responsabilisation des entreprises dans le suivi des salariés atteints de troubles mentaux a une incidence réelle. « Aux Pays-Bas, indique Miranda Veerle, l’employeur reste responsable de ses salariés, même s’ils sont en arrêt, pendant deux ans, ce qui facilite la réinsertion et limite les conséquences désastreuses d’un licenciement sur la santé mentale. »
En Grande-Bretagne, la compagnie Bristish Telecom fait de l’état mental et du bien-être des salariés un élément de l’évaluation de ses managers. Mais ces initiatives sont encore trop rares.
Jeudi 15 décembre, le Parlement européen a adopté un rapport visant à renforcer la sécurité et la santé au travail. Karima Delli, rapporteure et députée européenne Europe Ecologie-Les Verts, a insisté sur la nécessité pour tous les Etats membres de mettre en oeuvre l’accord-cadre de 2004 sur le stress au travail. « Le stress au travail est reconnu comme un obstacle majeur à la productivité », a-t-elle expliqué.
Rémi Barroux