Un psychologue raconte l’entrée dans la schizophrénie d’un de ses amis

Témoignage émouvant d’un psychologue (source).

parfois, le diagnostic est évident. Tenez, moi qui vous parle, votre humble serviteur, saviez vous que j’avais diagnostiqué ma première schizophrénie alors que j’étais encore juriste ? Je vous assure que c’est vrai. Je prenais à l’époque des cours de piano jazz et d’harmonie dans une petite école parisienne de musique assez réputée.

J’avais un prof, un capricorne, âgé d’un an de plus que moi. C’était à la fois le meilleur pianiste que je connaisse mais aussi le prof le moins pédagogue. Mais mu par ma brillante intelligence et mon orgueil absolu, c’est lui que je voulais avoir parce que c’était tout bonnement le meilleur. lui, ce putain de capricorne, je savais que dussè-je bosser vingt ans, je n’arriverais pas à l’égaler.

Comme je suis un bon garçon, lui et moi on a fini par devenir potes.
Et comme c’était un peu une tête de con, il a fini par se faire lourder de l’école de musique pour finir par donner des cours de piano chez lui. Il faut dire qu’il avait une notion assez élastique des horaires et du respect de la hiérarchie. Et moi, je l’ai suivi. Et j’ai ainsi assisté à sa descente spectaculaire.

Semaine après semaine, je le voyais décliner. Comme je suis un bon gars, comme je viens de le dire, je persistais à venir le voir. Un jour, comprenant qu’il n’avait plus un seul client et qu’il ne pouvait même pas bouffer, je lui avais ramené un carton du Monoprix le plus proche contenant des produits de première nécessité, ce qui prouve que j’étais vraiment un bon gars comme je l’ai déjà dit deux fois.

Aujourd’hui, je saurais mettre des mots sur tout cela mais à l’époque, je trouvais cela juste bizarre et je mettais ce changement sur le compte de son caractère parfois un peu difficile.
Et puis, comme nous nous entendions bien, on prenait parfois des cafés ensemble. On aimait bien se retrouver place de la Sorbonne au tabac pour discuter de tout et de rien.

Et là aussi, il a commencé à changer, à changer vraiment dans le sens où je trouvais qu’il déraillait. Des conneries, on en dit tous et moi le premier, mais chez lui ce n’était plus des conneries mais de gros délires. Croyez-moi, même moi qui ai des amis socialistes, je n’avais jamais entendu de tels trucs.

Je savais que très sensible aux honneurs, il était tout fier de m’expliquer qu’il venait d’être initié chez les francs-maçons.
Ce n’était pas été le premier que j’observe se faire une overdose de symbolique. Ca arrive aux apprentis psychanalystes qui voient des trucs partout alors pourquoi pas aux jeunes frères trois points ?!

D’ailleurs, il était devenu un peu space, me signifiant par là que je n’étais qu’un profane alors que lui avait été initié. Il en parlait beaucoup sans rien dire. C’était assez rigolo. D’ailleurs, comme c’était un bon pote, il m’avait fait approcher par l’un de ses frères pour que moi aussi j’entre dans ce cénacle. J’avais vu le mec qui ne m’avait pas vraiment emballé. Et donc j’avais un peu joué au con, tant et si bien que j’avais été classé déviant réactionnaire et persona non grata dans leur obédience.
Moi je m’en foutais vu que je n’aime pas les activités de groupe. imaginez ce que j’aurais pu ressentir dans un temple maçonnique. Et puis, je n’aime pas trop me taire et il parfait que durant un an, on n’a pas le droit de l’ouvrir. Bref, ce n’était pas pour moi.

Mais bon, semaine après semaine, les délires de mon pote pianiste avaient pris de l’ampleur. C’est ainsi qu’un jour, alors que nous étions assis en terrasse à un café, il m’expliqua qu’autour de nous, des hommes nous surveillaient mais qu’on pouvait les reconnaitre parce « qu’ils avaient les canines légèrement taillées en pointes comme tous les francs-maçons ». Comme je me demandais pourquoi il me sortait de telles conneries, je m’étais d’abord retourné pour constater que nul vampire ne hantait les lieux. Il faut dire qu’il était super persuasif mon pote quand il était perché dans ses délires. Et puis, moi, je ne connaissais rien aux francs-maçons, ils auraient bien pu se tailler les canines en pointe après tout, qu’est-ce que j’en savais !

Mais bon, ce jour là, je me suis tout de même dit qu’il avait passé un cap et qu’il venait de péter une durit. Comme internet n’existait pas en ce temps là, je suis allé à la bibliothèque de Beaubourg compulser les livres de psychiatrie. Et en très peu de temps, j’ai trouvé l’explication et compris que si mon pote pianiste semblait barré c’est parce qu’il était schizophrène à n’en pas douter ! Tout y était, les symptômes déficitaires et productifs, tout, tout, tout !

C’est ainsi que compulsant fiévreusement l’annuaire, parce qu’en ce temps là, c’était comme cela, on avait des bottins, j’ai trouvé une liste de dix numéros pouvant correspondre à celui de ses parents dont je ne connaissais que le nom et la ville de résidence. Par chance, au troisième appel alors que j’expliquais que j’étais Philippe, un élève pianiste de X, une voix féminine m’a répondu que son fils lui avait déjà parlé de moi. Bingo, j’avais sa mère au téléphone à qui j’ai pu expliquer que son fils allait très mal et qu’il semblait que ce soit suffisamment grave pour qu’elle vienne immédiatement le chercher. Bien sur, je n’ai pas prononcé le terme de schizophrénie.

Le lendemain, les parents de mon ami se pointaient en avion et le surlendemain il était interné et mis sous Haldol (un vieux médicament neuroleptique), un bon gros neuroleptique qui calme tout. Les parents m’ont alors rappelé pour me remercier et me dire que leur fils avait été diagnostiqué schizophrène et qu’ils me donneraient de ses nouvelles régulièrement.

Dans son cas, je ne m’étais pas trompé, c’était une vraie et pure schizophrénie paranoïde.

Pourtant si ces cas existent, ils ne sont pas tous aussi clairs que cela, d’où l’importance de se souvenir que le diagnostic de schizophrénie est un diagnostic qui se fait par défaut, une fois qu’on a éliminé toutes les explications banales possibles. Il ne s’agit jamais de se jeter sur ce diagnostic par facilité simplement parce que la personne que l’on a face à soi est un peu étrange.

Entendons-nous bien, je ne me fais pas le chantre de l’anti-psychiatrie mais vous recommande juste d’être circonspect. Parce que plein de trucs peuvent expliquer un pétage de plombs transitoire sans pour autant que ce soit une schizophrénie. Tenez, un truc aussi con que de se shooter sans oser le dire à son médecin parce que le patient a peur qu’il le répète à papa et maman et hop, on passe à côté du bon diagnostic !

Alors ces derniers temps, j’ai lu des tas d’ouvrages plus ou moins savants. Si je ne devais vous en recommander qu’un, ce serait celui d’Alain Bottéro « Un autre regard sur la schizophrénie : de l’étrange au familier ». C’est intelligemment rédigé avec beaucoup de sensibilité et d’érudition. Et c’est édité chez Odile Jacob.

Un autre regard sur la schizophrénie : De l’étrange au familier

3 réflexions au sujet de « Un psychologue raconte l’entrée dans la schizophrénie d’un de ses amis »

  1. Mon frère est schizophrène, et il est aussi très très persuasif lorsqu’il est en délire. Difficile de démêler le vrai du faux. Merci de ce témoignage !

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