interview du fondateur de l’association Bipol Entreprises

Comment se sont manifestés les premiers symptômes de votre bipolarité ?

Le déclencheur a été mon licenciement en 2001 par l’actionnaire principal de l’entreprise que j’avais créée. Le coup était d’autant plus violent qu’à l’époque je connaissais des difficultés dans ma vie conjugale. Dans un tel contexte, n’importe qui se trouverait sérieusement affecté. Pour moi, alors que j’ignorais que j’étais bipolaire, la déflagration a été extrême. J’ai sombré dans une profonde dépression. Pendant des mois, on m’a baladé d’un séjour en hôpital à l’autre et prescrit des cachets.

Aucun médecin n’a donc réussi à découvrir votre pathologie ?

Elle est difficile à détecter. L’errance diagnostique moyenne de la bipolarité est de huit à dix ans; chez moi, elle n’a duré « que » trois ans. En septembre 2003, j’ai rencontré, par le biais d’une association, le docteur Hantouche, qui a su donner un nom à mes troubles. Mais j’ai vécu avant cela trois années de souffrance.
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Après deux ans de dépression, j’ai fait un effort surhumain pour m’inscrire en MBA à l’ESC Rennes.
Je me suis senti revivre : ce cursus m’a permis de renouer avec une activité intellectuelle et relationnelle exigeante. J’ai arrêté les médicaments. Mais de nouvelles bouffées délirantes sont apparues, au bout de six mois. La plupart des bipolaires ne gardent pas de souvenirs de leurs délires maniaques. Moi, je me souviens de tout ! Je me prenais pour un super-espion chargé de sauver la vie du directeur de l’ESC, je rendais à mes professeurs des travaux abscons… On m’a renvoyé à l’hôpital,
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j’ai fait une dépression et une tentative de suicide.

Aujourd’hui, comment vous sentez-vous ? Parvenez-vous à retravailler normalement ?

Je suis stabilisé mais je sais qu’il me serait difficile de m’insérer dans un environnement professionnel traditionnel. Le diagnostic est la condition nécessaire à un traitement adapté. Il permet également de sortir du déni et de l’ignorance, qui sont les pires ennemis des personnes souffrantes. Pour vivre normalement avec la maladie, encore faut-il qu’elle soit comprise et acceptée. Or, si la forme aiguë de la bipolarité (alternance d’épisodes maniaco-dépressifs sévères) touche 1% de la population, ses formes atténuées sont à la fois beaucoup plus répandues (de 6 à 10% de la population) et très mal diagnostiquées car moins visibles

Quel est l’objectif de Bipol Entreprises, l’association que vous avez créée ?

Faciliter le retour et le maintien au travail des personnes bipolaires […]. L’association mise sur la compétence de malades qui sont capables de mettre leur expérience au service des autres pour les accompagner dans leur milieu professionnel et stabiliser leur humeur grâce à un protocole méthodologique éprouvé dans les pays anglo-saxons.
En 2011, nous avons ouvert un premier centre de jour à Rennes. Il s’agit d’un lieu de passage et d’accompagnement personnalisé, pensé pour le mieux-être des patients. Il est animé par une équipe pluridisciplinaire issue du monde de la psychiatrie et du conseil. C’est une boîte à outils, un espace de partage, ouvert aux entreprises et à la médecine du travail.

Source : magazine Management de novembre 2013

www.bipol.org