témoignage d’une schizophrène qui travaille (ingénieure dans un grand groupe du CAC 40)

Maud* F. est schizophrène, une maladie mentale qui ne se guérit pas. Ingénieure dans une grande entreprise du Cac 40, en charge d’un projet sensible dont le budget avoisine le million d’euros, très bien notée par sa hiérarchie, elle travaille depuis toujours sous camisole chimique. Un comprimé d’Abilify 15 mg chaque matin. Deux, le maximum autorisé, dans les périodes critiques. Seuls ses proches savent.

elle tire sur sa cigarette roulée, son « autre poison », avec les médicaments, et elle rajoute, en souriant crânement : « Je donne le change, je navigue avec facilité dans tous les milieux, personne ne se doute de rien ».
Parce qu’on est au courant, on trouve des indices, forcément. Il y a son visage, étonnamment expressif, qui s’illumine sous l’effet de l’exaltation et, dans la même seconde, se crispe d’inquiétude. Et aussi, les fines lignes blanches sur le dessus de son poignet. « Des traces d’automutilation, explique sans détour Maud. D’habitude je porte des manches longues pour les cacher. A vingt ans, je me tailladais le bras avec des lames de rasoir, ma seule échappatoire quand je sentais l’angoisse monter. J’ai fait deux tentatives de suicide à cette époque. Une overdose d’héroïne, d’abord. Puis j’ai sauté d’un mur de 10 mètres. Je ne devrais plus être là pour en parler ».

soulagée de réconcilier, enfin, les deux moitiés d’elle-même. La femme socialement adaptée, sous contrôle,  » l’actrice », dit-elle. Et la psychotique, entière et sans concessions, qui passe ses nuits sur Internet à s’empoigner avec d’autres « Schizonautes » rêvant, comme elle, d’une société plus juste.

On l’a rencontrée sur le Net, justement, où elle se dissimule sous un pseudo. Au départ, la discussion pouvait paraître mal engagée. « A cause de vous, les journalistes, les gens pensent que les schizophrènes sont tous des fous dangereux, prêts à pousser un inconnu sous le métro ou à poignarder le premier passant venu, écrivait-elle, très remontée, sur le site communautaire Atoute.org. Vous n’avez pas idée du nombre d’entre nous qui travaillent et ne font pas parler d’eux. J’en connais une quinzaine, rien que sur ce forum. D. est webmaster, F. ingénieure chargée de la synchronisation des feux rouges, B. expert dans la police scientifique… »

On avait admis qu’en effet, on ignorait cette réalité. Sur quoi D., justement, était intervenu : « Les schizophrènes n’osent pas se déclarer, par peur d’être stigmatisés. Aux yeux d’un employeur, cette maladie, c’est pire que d’avoir le cancer ou d’être séropositif ».

On retrouve Maud un soir de septembre, dans le même café que précédemment, avec sur le visage, cette expression désarmante de candeur qui provoque immédiatement un élan de sympathie. Elle a du nouveau. De son sac à main, elle sort un porte-document, tend une feuille à en-tête de son employeur : « L’avenant à mon contrat de travail. » La direction a accepté le principe du télétravail sans qu’elle brandisse sa RQTH. Alors on l’interroge, perplexe : comment va-t-elle s’y prendre, désormais, pour révéler sa maladie à ses collègues? Son air accablé, soudain: « J’ai remis ça à plus tard, avoue-t-elle à contrecoeur. Je ne peux plus me permettre de perdre mon boulot. Mon fils a décidé de reprendre ses études et il part à l’étranger. » Elle allume une cigarette. A son regard décidé, on devine que sa volonté n’a pas faibli: « Je finance encore ses études pendant quatre ans, ensuite il sera autonome et alors, plus rien ne me retiendra de dire la vérité. » Ni de bazarder cette existence dans les clous qui lui ressemble si peu.

*Les prénoms ont été changés

Par Estelle Saget

l’article complet sur le site de l’Express.

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