Hôpital Sainte-Anne, Paris. Dans une vaste salle de réunion, une quinzaine de personnes ont pris place autour de la table. Des femmes surtout. D’âges et d’horizons divers, elles ont en commun d’avoir un proche (enfant, frère, sœur…) atteint de schizophrénie.
Depuis le mois d’octobre, le groupe se retrouve tous les quinze jours pour une session de quatre heures, animée par Dominique Willard, psychologue dans cet hôpital psychiatrique de la capitale.
Une séance intensive de travail, mais également une parenthèse dans un quotidien souvent lourd. Un moment fort de partage d’expériences et d’émotions, surtout. Ici, les larmes peuvent couler sans retenue, suivies d’éclats de rire. Il y a des moments de tension, des silences éloquents. De jolies phrases aussi. « Il faut se fabriquer une armoire à souvenirs délicieux », raconte ainsi Julie (tous les prénoms ont été changés) au moment d’un exercice sur l’imagerie mentale, pour illustrer le fait qu’à chaque fois qu’elle est dans un « bel endroit », elle s’efforce de garder l’image en mémoire.
Né au Québec à la fin des années 1980, désormais pratiqué dans une cinquantaine de centres en France, Profamille est un programme très structuré de psycho-éducation destiné aux familles de schizophrènes. Le principe : apprendre à ces parents, souvent en première ligne pour s’occuper de leur proche, à décrypter les troubles si déroutants de la schizophrénie ; leur donner des clés pour mieux communiquer avec lui, et pour se préserver eux-mêmes.
PROMPTS À ÊTRE POSITIFS SUR DE PETITS PROGRÈS
Pour cette onzième séance, consacrée à des révisions, les participants avaient pas mal de documents à relire, d’exercices à préparer… Rompue à ce programme, qu’elle anime depuis trois ans à l’hôpital Sainte-Anne, Dominique Willard vérifie que les notions fondamentales ont été bien assimilées, veille à donner la parole à chacun, encourage les plus timides.
« Avez-vous fait des 4P tous les jours » ? s’enquiert la psychologue. Le 4P (être Prompt à être Positif sur de Petits Progrès) consiste à complimenter une personne pour un acte du quotidien, en lui exprimant sa satisfaction, son émotion. « C’est une règle de communication pour renforcer positivement les actions et les efforts qu’on souhaite voir réalisés plus souvent », précise Dominique Willard.
Avec plus ou moins d’aisance, tous relatent leurs tentatives, couronnées ou non de succès, auprès d’un collègue, d’un commerçant… ou le plus souvent leur enfant malade. « Dans ses délires, mon fils amène des aquariums de plus en plus volumineux à la maison, sourit Michèle. Les poissons l’aident beaucoup, mais pour moi c’est deux heures de nettoyage tous les dimanches. Alors récemment, je lui ai demandé d’enlever le plus gros (400 litres). Cela nécessitait une journée de travail, mais il l’a fait. Il m’a même rappelée pour avoir les dimensions, afin de mettre une petite annonce de vente sur Internet. Je l’ai félicité car il a tenu le coup jusqu’au bout. » On la sent émue, fière.
« Pourquoi est-ce important de communiquer à votre proche votre émotion face à ses progrès? », interroge Dominique Willard. « Parce que lui ne sait pas reconnaître les émotions, les exprimer. C’est un problème au niveau de l’amygdale du cerveau », réplique une participante. Spontanément, la discussion se poursuit sur le rôle physiologique de différentes structures cérébrales, et les dysfonctionnements chez les schizophrènes. Quelqu’un évoque leurs difficultés à planifier les actes. Une femme souligne les bénéfices de l’activité physique, « qui fait augmenter la taille de l’hippocampe ». « Il faut le dire à nos enfants, et motiver les médecins », insiste-t-elle.
L’ambiance s’anime. Plusieurs mères déplorent le manque de sensibilité des psychiatres à l’importance du sport, alors même que les neuroleptiques qu’ils prescrivent sont à l’origine de prise de poids. Plus globalement, c’est le manque d’écoute des professionnels à l’égard des malades et des familles qui est pointé du doigt.
RÉSISTER AUX MAUX QUI MENACENT LES AIDANTS
En quelques mois, les membres du groupe sont déjà devenus des « experts » de la schizophrénie, avec un niveau de connaissances probablement bien supérieur à celui de beaucoup de médecins. Et grâce à différentes techniques de relaxation, de gestion du stress et des émotions, ils apprennent à prendre davantage soin d’eux-mêmes, pour mieux résister aux maux qui menacent les aidants : les troubles du sommeil, l’épuisement, la dépression…
La culpabilité aussi, presque omniprésente. « Je pense de plus en plus que la culpabilité ne sert à rien. Mais tout au fond de moi, la bête est là, c’est difficile de s’en défaire », concède une mère. La sérénité est encore loin, mais tous ou presque se disent convaincus des bienfaits de Profamille. « Mes parents l’ont fait avant moi, et j’ai assisté à une métamorphose. Ils ont gagné en apaisement, en sérénité, témoigne une jeune femme. Mon frère ne va pas mieux mais la communication avec lui a changé. »
Les évaluations scientifiques le confirment, ce programme de psycho-éducation a des effets objectifs sur le niveau de bien-être des participants, mais aussi sur l’état de santé des patients eux-mêmes, avec une diminution des rechutes et des journées d’hospitalisation. Cette année, Dominique Willard anime deux groupes en parallèle à l’hôpital Sainte-Anne. La formation dure deux ans. Pour s’inscrire, il y a un an d’attente.