Chat avec Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNaPsy)

LEMONDE.FR | 19.04.10 | 17h32 • Mis à jour le 20.04.10 | 18h02

L’intégralité du débat avec Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNaPsy), mardi 20 avril 2010, est sur le site du journal Le Monde et ci-dessous.

Claude Finkelstein est présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie.

guilmard : Comment concevoir une hospitalisation psychiatrique à domicile ? Quelle organisation ? Quels objectifs ? Pour quels types de maladies ?

Mme Claude Finkelstein : Pour moi, il n’y a pas d’hospitalisation psychiatrique à domicile, il y a des soins à domicile, des soins acceptés ou sous contrainte. Cela correspond à des visites à domicile d’infirmiers psychiatriques et/ou de psychiatres ; pour les soins sous contrainte, évidemment ce sera plutôt des molécules retard. Par exemple une injection par mois pour les maladies les plus difficiles.

L’objectif : des soins de meilleure qualité si le patient accepte qu’ils soient faits à domicile. Pour quels types de maladie ? Pour les maladies qui nécessitent des soins au long cours et réguliers, comme les psychoses : la schizophrénie, les troubles maniaco-dépressifs, etc.

NRF : Qu’appelle-t-on des molécules retard ?

Comme pour les autres pathologies, par exemple le diabète, il existe des molécules qui sont administrées une fois et qui font de l’effet pendant huit à quinze jours, voire un mois.

guilmard : Cela voudrait-il dire que, sur simple appel téléphonique d’un membre de l’entourage, que la personne soit majeure ou non, un psychiatre pourrait se déplacer au domicile de la personne en situation de mal-être ?

C’est déjà le cas. Souvent, pour les personnes qui sont en déni de maladie, l’entourage peut faire appel à un professionnel, qui décidera si oui ou non une hospitalisation sous contrainte doit être proposée.

Guest : L’hospitalisation « hors de l’hôpital », à défaut d’être « à domicile », n’est-elle pas déjà une réalité lorsque l’on voit le nombre de personnes que les hôpitaux psychiatriques ne « gardent » pas au-delà de quelques jours ?

Il faut faire la différence entre l’hospitalisation et les soins sous contrainte. Là, on parle de soins sous contrainte en ambulatoire. Je ne pense pas que l’hospitalisation hors de l’hôpital soit déjà une réalité. Ces maladies sont des maladies qui se soignent très bien hors de l’hôpital.

croisettes : Pensez vous réellement qu’un patient inconscient de ses troubles acceptera une prise en charge à domicile régulière ? N’y verra t-il pas au contraire une possibilité d’échapper à l’hospitalisation ?

Un patient peut être inconscient de ses troubles lors d’une crise, ce qui ne veut pas dire qu’il est totalement inconscient de la maladie qu’il subit. Certains accepteront cette prise en charge à domicile régulière afin de ne pas être dans un hôpital. C’est un choix personnel.

Alain : De moins en moins de lits, de moins en moins de professionnels, de moins en moins de moyens, de plus en plus de patients…comment faire ?

Je ne suis pas sûre que la réponse aux patients soit obligatoirement des lits. Ceux-ci sont la plupart du temps utilisés pour les patients dits « au long cours », qui devraient bénéficier de structures alternatives. Nous avons le plus fort taux de psychiatres au nombre d’habitants en Europe, et également un des plus forts taux de suicides. Il me semble que c’est plus une question d’organisation, et surtout de prévention.

guilmard : Faut-il, comme cela se passe actuellement, attendre les tentatives de suicides, pour que les malades, inconscients alors, soient enfin pris en charge, ou aient enfin un début de prise en charge…

C’est le grand problème : nous n’avons aucun système de prévention, aucun système de politique de santé publique sur la santé mentale, et une grande difficulté de réponse à la demande.

laurent : Est ce envisageable lors d’épisodes maniaques ?

D’abord il faut une hospitalisation à l’hôpital, avec une observation et une discussion avec la personne pour voir si un retour au domicile peut être envisagé avec prise de molécules.

leoniedas : Vous êtes donc pour la fermeture des centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie ?

Je l’étais, mais je le suis beaucoup moins depuis que j’ai visité régulièrement des services psychiatriques en hôpital général. Je suis pour de petites unités, genre cliniques publiques, à taille humaine, mais spécialisées en psychiatrie. Parce que dans les hôpitaux généraux, le service psychiatrique est le parent pauvre, on lui retire du personnel, on n’envisage pas de rénovation.

croisettes : La prise en charge hors les murs demande des moyens humains importants. Vont-ils être pris sur les moyens alloués à l’intra hospitalier ? Si oui où est le bénéfice ?

Pour l’usager, le bénéfice est important s’il accepte d’être soigné chez lui : pas de désocialisation, pas de stigmatisation… Je ne pense pas qu’actuellement il y ait plus de moyens donnés à la psychiatrie, comme aux hôpitaux généraux. C’est une question de société.

Ricardo 2009 : L’hospitalisation à domicile est-elle possible pour des patients psy ne voulant rien du tout, tels les SDF ? Qui pourrait assurer leur securité ? Les soignants, les flics ?

Toute hospitalisation ou soins sous contrainte est possible pour les personnes dangereuses pour elles ou pour les autres. Les soignants sont là pour assurer la sécurité, l’humanité et le soin.

Marguerite : Il y a quelques années, j’ai dû faire interner quelqu’un de ma famille pour des délires. Cette personne a eu ensuite des soins en centre ouvert et un traitement médicamenteux. Je n’ai jamais pu avoir de diagnostic de la maladie. Cela pose des problèmes car la famille ne sait pas comment se comporter et comment réagir à la suite de délires et
visions résurgentes. Que faire ?

La personne soignée peut demander l’accès direct à son dossier médical dans lequel il devrait en principe y avoir un diagnostic. Ce qui vous permettrait de faire des recherches sur la maladie. En psychiatrie, nous souffrons terriblement du manque d’information sur le diagnostic, sur la maladie. Les familles, les proches souffrent également de non-information sur ce qui se passe, sur ce qu’ils pourraient faire pour aider la personne. Je pense que c’est très grave.

Jackie : Nous sommes une association d’usagers (1991) de la psychiatrie, forte de plus de 120 membres, et nous n’avons même pas la possibilité d’être reconnu comme groupe d’entraide mutuelle (GEM). Pourquoi et comment faire ?

Un groupe d’entraide mutuelle est composé d’usagers en psychiatrie et fonctionne comme un club de soutien et d’entraide. Nous avons obtenu, par la loi du 11 février 2005, qu’une aide soit accordée à ce type de clubs. Cette subvention, d’un montant maximum de 75 000 euros par an, leur permet de trouver un local et d’avoir deux animateurs pour les aider dans la vie de tous les jours. Il en existe actuellement 343 sur toute la France, mais de nouvelles créations ne sont pas encore envisagées.

Ludovic : Comment la liberté des individus est-elle preservée dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte à domicile ?

Les soins sous contrainte sont une atteinte à la liberté « pour le bien du patient ». C’est la difficulté en psychiatrie, justement, ces soins indispensables parfois qui touchent à la liberté de chacun. A domicile, pour nous, les soins sous contrainte ne peuvent être que proposés et acceptés par la personne qui est hospitalisée sans son consentement. Nous passons actuellement d’une loi qui permet l’hospitalisation sans consentement à une loi qui instaurerait les soins sous contrainte.

Marguerite : Quels sont les moyens proposés aux familles pour pouvoir aider leurs malades ? Pourquoi ce refus des psychiatres de parler aux familles ? Finalement ce sont eux qui font perdurer le « tabou » de la maladie. Quand un membre de la famille a une maladie grave ou autre, on est au courant, et là rien, le grand silence…. Si les points de vue du « public » ont évolué , celles des praticiens en aucune façon…

Les familles connaissent les maladies des personnes si celles-ci sont d’accord, et ce, quelle que soit la pathologie. En revanche, en cas d’hospitalisation psychiatrique, en cas de maladie et de crise, il serait indispensable que les psychiatres rencontrent les familles en dehors du patient et leur expliquent ce qu’est la maladie, les moyens de la combattre, et leur donnent un soutien.

FF38 : Pourquoi donner plus de moyens aux Unités pour malades difficiles (UMD) et aux Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les détenus alors que les schizophrènes qui prennent leur traitement en ont besoin aussi : appartements thérapeutiques, allocation autonomie handicapé (AAH) à laquelle ils ont droit mais qu’ils ont du mal à obtenir…

Les moyens ne viennent pas des mêmes « enveloppes ». Il y a les moyens pour la santé et les moyens pour le social et le médico-social. Cela devrait s’arranger avec les agences régionales de santé (ARS). Je suis d’accord avec vous, mais il faut des unités pour malades difficiles dans certains cas.

Alexandre : Que pensez vous du modèle scandinave, qui sacrifie parfois l’hospitalisation à proprement parlé pour des soins à domicile 2.0 (avec Webcam et matériel domestique par exemple) ?

On y arrivera, je pense, mais nous ne sommes pas encore prêts. En psychiatrie, les moyens humains sont indispensables car il s’agit de maladies de l’être, la relation est primordiale.

Ludovic : Est-ce que ces médicaments ne servent pas simplement à annihiler la volonté de la personne malade ?

Vous parlez de la camisole chimique. Les médicaments sont parfois indispensables pour calmer la souffrance. Il ne faut pas l’oublier. En revanche, les effets secondaires sont souvent perçus comme une atteinte à notre liberté et à notre volonté. Il faudrait pouvoir discuter avec les soignants des molécules administrées.

Alexandre : Pensez vous que l’amélioration de la condition des malades soignés et de leur réinsertion doit aussi passer par une sensibilisation de ceux en bonne santé ?

Oui, dans l’absolu. Reste à savoir ce que c’est que d’être en bonne santé. Où est la frontière dans notre société ? En revanche, une campagne de déstigmatisation est indispensable. La société a toujours peur de la folie, de ce qui ne se maîtrise pas.

rapport du Sénat sur les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques

Page de présentation du plan du rapport sur Les délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques : comment concilier la protection de la société et une meilleure prise en charge médicale ?

Disponible en une seule page HTML (338 Koctets)
Disponible au format pdf (365 Koctets)

débat à la télévision sur la dangerosité des schizophrènes

Le « talk-show » (programme télévisé de débat avec des experts) C dans l’air du mercredi 7 avril 2010 était consacrée à la schizophrénie. L’émission prenait pour prétexte l’affaire du pousseur du RER à Paris qui a tué un voyageur en le jetant sur les voies sous un train pour se consacrer à la dangerosité des schizophrènes et à la réponse des pouvoirs publics (réponses sanitaire, policière et judiciaire).

Quelques commentaires sur l’émission :

– L’émission était intéressante mais encore une fois on ne parle de la schizophrénie que sous l’angle de la dangerosité des malades.
Certes il ne faut pas nier le phénomène des pousseurs (1 en 2009 et 4 depuis le début de l’année 2010 mais dont seulement 1 sur les 4 est formellement considéré comme schizophrène, le dernier) ni les crimes commis par des schizophrènes mais ceux-ci sont rares.
On sait que la télévision ne parle pas des trains qui arrive à l’heure mais elle pourrait s’intéresser aux schizophrènes qui sont insérés dans la société et qui travaillent. Il n’y a pas eu de C dans l’air sur les schizophrènes non-dangereux, seulement une sur les exclus qui parlait du tiers de SDF qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont mal ou pas soignés.

– Cela n’a été dit qu’à une seule reprise dans l’émission (par le psychologue et criminologue Jean-Pierre Bouchard) et aurait dû être répété : il y a 600 000 schizophrènes en France (1% de la population) et seulement quelques affaires de schizophrènes criminels (les schizophrènes commettent des crimes en même proportion que les personnes non-malades et beaucoup de meurtres (passionnels, crapuleux, règlements de compte, vengeance,…) sont commis par des personnes saines).

– Cela n’a été rappelé que 2 fois brièvement (1 fois lors du débat et 1 fois par un téléspectateur qui a fait cette remarque par SMS) mais la majorité des schizophrènes ne sont pas dangereux. Et certains qui peuvent être dangereux ne le sont plus quand ils sont soignés.

– Les schizophrènes sont le plus souvent victimes que coupables de violences et de crimes à cause des nombreux schizophrènes qui vivent dans la rue, par choix ou faute de place ambulatoire dans les hôpitaux psychiatriques (depuis 30 ans, aussi à cause des progrès des médicaments, de nombreux lits ont fermé) ou des appartements thérapeutiques.

– Les 2 psychiatres (Pierre Lamothe et Jean-Pierre Olié) et l’ancien magistrat (Bruno Thouzellier) renvoient la patate chaude de la prise en charge des malades potentiellement dangereux (quand un malade ne prend plus son traitement et rechute en faisant une crise avec Bouffée Délirante Aiguë (BDA)) :
. Les médecins de famille ne veulent pas faire de certificat médical pour une Hospitalisation à la Demande d’un Tiers (HDT) ou une Hospitalisation d’Office (HO) pour ne pas se fâcher avec un patient/client qui pourrait leur en vouloir après (je ne crois pas à cette excuse, la plupart des patients stabilisés sont redevables après coup à leur médecin de les avoir soignés sans leur consentement parce qu’ils en avaient besoin et les remercient pour cela).
. Les pompiers qui, malgré leur formation médicale, ne veulent souvent pas intervenir.
. Les policiers et les gendarmes qui ne veulent pas intervenir sans passage à l’acte ou flagrant délit.
. Les psychiatres des CMP (Centres médico-psychologiques) qui souvent ne veulent pas signer de certificat mécal pour une HO car l’esprit de la loi est que c’est à un psychiatre autre que le psychiatre qui suit le malade de signer ce certificat.
. Les maires de communes qui parfois ne veulent pas signer l’arrêté municipal d’HO, ne connaissant pas leur administré concerné ou n’étant pas disponibles la nuit pour venir aux urgences psychiatriques d’un hôpital.

Espérons que chacun prenne ses responsabilités quitte à ce qu’une nouvelle loi (celle en préparation) clarifie les obligations de chacun en cas de danger potentiel.

Autre chose intéressante dans l’émission, un reportage sur l’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) de Bron-Le Vinatier dans le Rhône, premier hôpital-prison de France (à ne pas confondre avec les UMD, Unité pour Malades Difficiles).